Vicky Cristina Barcelona
Vicky Cristina Barcelona n’est peut être pas le meilleur film de Woody Allen mais il réserve cependant de bonne surprises. Si l’affiche du film laisse échapper un soupcon sur les triangles amoureux, le scénario n’est pas aussi simple. Cette simplicité est contre-balancé par une mise en forme didactique par le biais d’une voix-off et d’un découpage ingénieux. Ce film se développe autour du modèle du triangle mais multiplié par plusieurs possibilité.
Le premier triangle Vicky/Cristina/Juan Antonio est basé sur la différence entre les deux personnages féminins : l’une cherche la stabilité et une trajectoire de vie alors que la seconde se voit dans une vie sans médiation et se voulant bohème et artistique. Dans la relation entre Cristina et Juan Antonio se forme ainsi l’image de cette possibilité pour Cristina de vivre une vie qu’elle peine à atteindre (un court métrage qu’elle n’assume pas, idem pour sa poésie et ses photographies) par l’intermédiaire de cette artiste reconnu et passionné. C’est sur cette face que construit le second triangle Cristina/Juan Antonio/Maria Elena. Toute l’astuce de Woody Allen est d’avoir réussi à faire jouer une configuration habituellement synonyme de la jalousie ou du mensonge sur un mode plus positif. Ainsi en faisant intervenir Maria Elena dans la relation Cristina/Juan Antonio, Woody Allen n’utilise la jalousie et l’hystérie de Maria Elena que pour mettre en relief la différence de relation entre ces deux personnages et Juan Antonio. L’une est inscrite dans la destinée et la force artistique se retrouve traitée comme une sorte de double furieuse mais égale à l’artiste alors que la seconde se comporte bien plus comme une muse ou une sorte d’animal cherchant une sorte de protection et se révélera être l’élément libre du triangle.
Il y a bien sûr d’autres triangles dans le film mais il me semble qu’ils ne sont que des figures mineures. Par exemple, Vicky/Juan Antonio/Maria Elena n’est qu’anecdotique et ne fait qu’accentuer la relation entre Juan Antonio et Maria Elena ainsi que la mise en parole des hésitations de Vicky vis-à-vis de son fiancé. La trame du film repose subtilement sur un renversement de la responsabilité du doute et de l’insouciance dont les triangulations permettent de définir un horizon de rotations : celle qui a un chemin tout tracé va se mettre à douter et hésiter, apercevoir un chemin plus chaotique alors que celle qui n’est censée vivre que dans l’instant de ses sentiments se transforme en une machine à schémas bien définis et stéréotypés.
Il y a une scène particulèrement représentative de la relation entre les personnages : nos amis débarquent d’une petite virée en vélo, Cristina part chercher quelque chose Juan Antonio. La séquence est alors une vue de dos de Cristina suivant pas à pas son chemin pendant que Juan Antonio et Maria Elena reste hors champ alors que la séquence précédente on les voyait renouer une relation un peu moins chaotique. Une petite musique soutient cette marche calme où l’on s’attend à une sorte d’explosion dans ce qui est dans la grammaire habituelle du cinéma américain un climax. Les codes imposent une sorte de retournement scénaristique et actantielle où l’image d’une révélation dans la conscience de Cristina sur l’inséparabilité de Juan Antonio et Maria Elena devient un fait établi. Pourtant le film continue sur cette démarche nonchalante de l’actrice qui se retourne et retourne naturellement vers l’autre couple. Cette douceur dans la complexité humaine, les relations qui se font et se défont sans victimes réelles, dont la tragédie est absente et qui laissent une trace sur les trajectoires sans faire de l’histoire une suite de collision mais d’interactions.