La morale de l'histoire
C’est bête, je ne pensais pas que cela me viendrait un jour à l’esprit mais au final, il faut l’avouer : j’ai une morale.
Après des années à avoir été intraitable et m’embrouiller avec ceux qui restaient parce que je pensais sincèrement que dans le monde des affaires humaines rien d’autres que les considérations individuelles ne justifiaient l’action collective. Il n’y a pas d’échelle supérieure nous imposant des actes de conduite. L’humanité est notre échelle pas quelque chose qui nous dépasse. A partir de cela, la morale ne compte pas, seule l’éthique a une vague importance comme apprentissage individuel de la conscience, la responsabilité, etc. Ce que je voulais dire par là est qu’il ne sert à rien de s’incliner face à quelqu’un pour trouver la sagesse ou bien comment vivre l’ordinaire, quelque soit la couleur ou l’apparence du clergé, la morale en tant que solution extérieur, intemporelle et immuable n’existe pas : la seule réponse à l’équation réunissant toutes les inconnus est l’individu qui est en son centre. Cela est loin d’excuser un égoïsme forcené, cela explique seulement qu’il ne sert à rien de se reposer autre chose que soit même pour justifier ses actes, ses choix et ses erreurs. Des plus banales aux plus risqués. L’inertie de l’ordinaire et le poids des traditions existent mais ce ne sont générales que des excuses pour rester enfermé et immobile. Petits coins de chaleur bien confortable, c’est toujours détestable quand quelqu’un s’en pare pour justifier un acte, pourquoi avouer ses propres faiblesses quand l’on peut accuser la lourdeur du monde. Le beau n’est que cette instance qui permet à quelqu’un de justifier une production par l’accord ou le petit plaisir sensoriel qu’il peut accorder par son adéquation à un code qui ne soucie guère de savoir si cela est bien.
Pourtant, au centre, il y a ces accumulations de patterns et d’habitudes qui construisent notre actualisation quotidienne. Comme dirait Christopher Alexander, il y a des patterns qui rendent les choses reliés vivantes et d’autres qui les mortifies. Si les envolées de Loos sur l’ornement peuvent laisser rêveur et faire sourire, les considérations de Kenya Hara dans “Designing Design” à propos de la philosophie derrière Muji, elles ne m’ont pas lâché depuis et je me demande si ce n’est pas cela qui m’a motivé à retourner du côté de la conception. C’est ici que le point est blessant. Depuis plusieurs mois, j’ai l’impression de vivre dans un monde où résonne ce besoin de simplicité par la maîtrise de la complexité par le perfectionnement des outils humains. Pour le bien commun, il est nécessaire que les personnes capables de prendre de décisions sur la production et la massification des objets qu’ils soient virtuels ou matériels aient en tête que quelque soit la popularité, tout cela a une incidence sur la mentalité globale et l’image forgée à travers la multitude de petites productions qui ne changeront rien individuellement mais seulement quand elles s’inscrivent dans une globalité. L’écologie du numérique permet de mettre de côté les questions du gâchis mais en aucun cas elle ne permet d’esquiver la question de l’utilité, du superflu, de la conformation et de l’inscription de notre monde à des éventualités indésirables.
C’est devenu quelque chose de semblable à une quête, une sorte de mission à laquelle répond de plus en plus de personnes et de questions dans le milieu. Si la rhétorique et la philosophie cynique m’avait laissé dans un état de blasement où l’incertitude était l’état de base de la poursuite de la vérité, la congruence entre Buckminster-Fuller, Sterling et Hara me donne une certitude qui se retrouve souvent mise à l’épreuve. Pourtant sans cet espoir et ce fragment de visibilité sur l’avenir, je ne douterais, je ne ferais qu’exécuter et cette impression qu’il y a en jeu autre chose qu’un jugement esthétique, que la participation à un mouvement artistique rend certaines attitudes moins souples. Cette sensation de rigidité et de tension, je suis très heureux de la ressentir car elle me permet de ressentir un sentiment de justesse et de nécessité. Cette morale basée sur la disparition de l’ornement, du superflu, de l’artifice et donc de l’apparence ne m’apporte ainsi réconfort, elle ne fait que me plonger dans cet état où l’on part déjà perdant contre une certitude afin de l’amener dans le plus de variations possibles et de la voir peut être un jour montrer ses limites.
Et comme il y en a au fond de la salle qui commencent à soupirer de me voir faire l’apologie encore une fois de la rigueur formelle (Muji, muji, muji), une petite vidéo de Dieter Rams, grand contributeur du design de chez Braun.