cendres.net

duong tam kien

Il n'y a pas encore si longtemps que ça, seulement 5 ans, je soutenais l'idée que le blog en tant qu'objet était neutre sociologiquement et sémiologiquement. Il ne décrit ni société, ni signification particulière. Il les permet toutes. La constitution d'un groupement social utilisant les blogs pour partager des recettes de cuisine n'est un paradoxe que pour ceux qui prêtait une intention à un objet. D'où une guerre de tranchées contre le communautarisme et l'usage répété du terme « blogosphère » ; ce qui parallèlement n'empêche pas de soutenir et de participer à l'amélioration de ce genre d'outils en contribuant et en aidant les artisans de cette disponibilité. Aujourd'hui, je crois encore que ce terme ne fonctionnera jamais comme incantation d'une classe sociale, particularisme parisien mis à part où des marionnetistes avisés rencontrent une offre de personnalités en papier pré-maché. La même analyse peut être conduite à propos de twitter. Notre petit présent ne se privera pas non plus d'ajouter d'autres modulations à la liste des nouveaux outils institués tels des sceptres. Pour l'instant, il s'agit seulement de l'ajout progressif de toutes les notions de paratextualité, contextualité, hypertextualité, infratextualité, etc au texte numérique et son affranchissement de la matière.

Fixons l'idée une bonne fois pour toute. Les outils de publication, électroniques ou non, sont neutres dans leur usage car tout leur est permis [Neutralité pragmatique]. Ce n'est pas parce qu'ils seront finalement utilisés à fins quelconques, banales, nombrilistes ou qu'ils ont peu été utilisé proportionnellement pour autre chose (l'échange, la révolution, la prise de parole plutôt que l'idiote mobilisation en faveur d'un discours légitimiste, etc) qu'ils n'en seront jamais les supports. Le corrollaire est donc qu'il n'y a aucune impossibilité pragmatique. Par exemple, tout jugement sur les blogs (leur mort comme leur avènement, leur futilité comme la preuve d'un pouvoir) n'est qu'un abandon réactionnaire du débat sur ce qu'il est possible d'en faire au détriment de ce que l'air du temps en a fait ; c'est ainsi se priver de la reconnaissance tacite que ce sont les acteurs qui les manipulent qui détiennent un degré de responsabilité et qui sont ainsi sociologiquement parlant.

Dans l'architecture de l'information, le seul rôle de cette catégorie d'outils est d'épargner aucune possibilité d'usage soit actuellement soit par extension future en fonction des besoins.

Le contexte prime sur la possibilité technique, non l'inverse. Le champ d'action repose bien plus sur la capacité de mobilisation sociale que la disponibilité technique. Nous sommes justement dans la culture où l'individu peut toujours s'engager à faire coïncider à moindre coup la technique et ses intentions modulo la question primordiale de l'affection de ressources pendant un temps donné (« se donner du temps »). L'usage n'est ainsi que le signe secondaire, non pas de la nature de l'outils technologique, mais de la culture qui les prends en main. Agir politiquement, c'est influencer sur la culture et sa mise en action dans les usages plutôt que de chercher à posséder ou maîtriser des outils.

Refuser ou abandonner un mode de parole au nom de la mode, au nom du manque de distinction, au nom du côté mainstream n'est que le désaveu de l'esprit de libération et de critique ainsi qu'assumer un manque de talent flagrant autre que celui de faire partie de la masse mais de le faire bien en tant que « premier ».

Peut-on prétendre, autrement que d'un air stupide, que l'information en 140 caractères basés sur des faits à plus de force que l'argumentation ? Ce qui se trame ce n'est ni une question de rapidité ni la défense de l'empirisme, les faits surprenant l'analyse, mais bien plus la mise en valeur de la facilité de moins penser. Contentons nous des faits, divers si possible.

La parole publique en tant que mode de représentation issu d'une idéologie particulière à travers l'écriture de la modernité et de ses révolutions a également montré comment les origines sociales d'une pratique peut s'écarter des intentions des acteurs de ceux qui ont forgé la possibilité de cette pratique.

Tout cela a beau rester de la tautologie, il reste également perturbant de constater à quel point la confusion peut revenir régulièrement ie à chaque fois que l'on entend parler de blogs, de twitter etc comme des choses et non comme des fragments de personnes.

Sur un mode un peu universitaire, j'ai envie de dire : "c'est la rentrée !" Et cette année, va falloir s'y mettre pour de vrai. Fini la première année de thèse qui dure un an et demin et fini la rédéfinition du sujet qui en dure autant. Je me suis remis sérieusement mais patiemment à l'établi, forgeant mots et concepts pour la préparation de la bataille des deux prochaines années. Grand stratège, j'ai décidé de refaire le Plan.

Sauf que je me suis retrouvé confronté à un problème logistique : ce n'est pas possible de continuer à vivre dans la même configuration que lors de mes premières aventures intellectuelles, tout en frugalité au niveau de la bibliographie. Avec ma nouvelle lubie, c'est presque secret alors je vous laisse deviner, il me fallait donc une nouvelle configuration des énergies cosmiques pour que mon cerveau puisse se canaliser dans la direction du complexe clavier-écran pour laisser toute la gymnastique de mon mental faire ses exercices.

Avant on avait la photo du début de l'article. Remarquez la tentative les stalacmites de livres et le début de péninsule.

Deux semaines de réflexion, de plans, de recherches sur le nouveau truc top secret, un deal avec M. Ikéa et voilà le résultat. Prêt à me remettre au travail et baignant dans de belles énergies, c'est l'heure de partir en vacances. Si je ne suis pas docteur, je pourrais au moins écrire un traité taoïste sur l'art de la procrastination.


  • Girlfriend dans le coma, Douglas Coupland
  • La guerre des rêves, Marc Augé
  • L’homme et le sacré, Roger Caillois
  • Oeuvres III, Walter Benjamin

Je regrette un peu d’avoir à lire et de remplir ma bibliothèque de versions françaises. C’est le prix à payer pour augmenter un peu le rythme. J’espère pouvoir passer aux versions anglophones de façon plus systématique et peut être aussi l’allemand.

Dans la série, le truc qu'on aurait aimé faire, ou vaguement commencé à faire, et qu'on fera pas parce que d'autres le font déjà très bien eux même, je vous présente Color Stream.

A mon goût, il manque seulement un interfacage avec une application web du style Color Lover ou Kuler.

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Ce qu'il en est à présent de la vie privée, l'espace où elle a lieu le montre bien. À vrai dire, il est devenu tout à faire impossible d'habiter. Les demeures traditionnelles, où nous avons grandi, ont maintenant quelque chose d'insupportable : chaque élément du confort que nous y trouvons s'achète au prix d'une trahison de nos exigences intellectuelles et chaque trace d'un rassurant bien-être en sacrifiant à cette communauté d'intérêts étouffante qu'est la famille. L'architecture fonctionnelle, qui a fait table rase de tout superflu, ne produit que des étuis pour béotiens confectionnés par des experts, ou bien des usines égarées dans la sphère de la consommation, qui n'ont pas la moindre relation avec ceux qui les habitent : de tels logements sont une gifle donnée à la nostalgie d'une existence indépendante, qui de toute façon n'existe plus. L'homme moderne souhaite dormir près du sol comme un animal, c'est ce qu'affirmait avant Hitler un magazine allemand avec un masochisme prophétique, supprimant ainsi la frontière entre la veille et le rêve en même temps que le lit lui-même. Lourds de sommeil, les gens sont disponibles à tout moment et prêts à tout sans résistance, à la fois alertes et inconscients. Celui qui se contente d'accumuler chez lui les éléments disparates d'un mobilier de style authentique procède, de son vivant, à son propre embaumement. Celui qui veut échapper aux responsabilités du logement en prenant une chambre à l'hôtel ou un appartement meublé est un malin pour qui, en quelque sorte, les conditions qu'impose l'émigration deviennent la règle. Comme toujours, c'est pour ceux qui n'ont pas le choix que la situation est la plus difficile. Ils habitent sinon dans des bidonvilles, du moins dans des bungalows mais, demain déjà, ils coucheront peut-être dans des cabanes de jardinier, dans des caravanes ou dans leurs voitures, sous la tente ou à la belle étoile. Le temps de la maison est passé. Les destructions infligées aux villes européennes, exactement comme les camps de travail et les camps de concentration, ne font qu'exécuter ce que l'évolution immanente de la technique a décidé depuis longtemps quant à l'avenir des maisons. Ces dernières n'ont plus qu'à être jetées comme de vieilles boîtes de conserve. La possibilité d'habiter est anéantie par celle de la société socialiste, qui, en tant que possibilité manquée, est devenue le mal rampant de la société bourgeoise. Aucun individu ne peut rien faire contre. Déjà quand il se préoccupe de décoration intérieure et conçoit son propre mobilier, il se rapproche d'un goût d'inspiration « arts déco », un peu comme un bibliophile, même s'il est contre les « arts décoratifs ». Avec le recule, la différence Bauhaus et Wiener Werkstätte n'est plus si marquante. Entre-temps, la ligne des formes purements utilitaires est devenue autonome et s'est affranchie de sa vocation fonctionnelle pour devenir ornementale, tout comme les formes typiques du cubisme. La meilleure attitude par rapport à tout cela semble être encore une attitude suspensive, qui ne s'engage à rien : mener sa vie privée aussi longtemps que le type de société dans laquelle nous vivons et nos besoins personnels ne permettent pas de vivre autrement, mais ne pas la compromettre en attendant d'elle qu'elle puisse être encore la réalisation adéquate de l'individu dans sa vraie dimension sociale. « Il fait même partie de mon bonheur de ne pas être propriétaire », écrivait Nietzsche dans le Gai Savoir. Il faudrait ajouter maintenant qu'il fait aussi partie de la morale de ne pas habiter chez soi. Voilà qui témoigne du rapport difficile que l'individu entretient avec ce qu'il possède, pour autant qu'il possède encore quelque chose. Tout l'art ne serait qu'à faire connaître en pleine évidence que, d'une part, la propriété privée n'appartient plus à personne, au sens où la masse des biens de consommation est devenue potentiellement si abondante qu'aucun individu n'a plus le droit de se cramponner au principe de leur limitation mais que, d'autre part, il faut cependant posséder quelque chose si l'on ne veut pas tomber dans la dépendance et la nécessité qui profitent au maintien aveugle des rapports de propriété. Mais dans ce paradoxe, la thèse conduit à la destruction, à l'indifférence et au mépris des choses, ce qui se retourne nécessairement contre l'homme lui-même ; et l'antithèse est déjà, dans l'instant même où on la formule, une idéologie à la disposition de ceux qui, en toute mauvaise conscience, veulent garder ce qui est à eux. Il ne peut y avoir de vraie vie dans un monde qui ne l'est pas.

Asiles pour sans abris, Minimal Miralia, Théodor Adorno

  • Minima Moralia, Theodor W. Adorno
  • Dialectique négative, Theodor W. Adorno
  • Oeuvres II, Walter Benjamin

Cette semaine, on continue la cartographie du continent de la littérature classique de la théorie critique. Des textes à relire et à redécouvrir avec un peu plus de pesanteur (ou de légereté, allez savoir) que lors du temps de la découverte.

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Seed a publié récemment une série d’interviews assez intéressantes sur le paradigme des deux cultures et dont la sociologie s’est, il n’y pas si longtemps, rêvée être une troisième voie médiane. Ca mérite le détour pour s’initier un peu aux discours actuels sur cet autre débat de l’épistémologie sociale des sciences humaines.

En parlant de “Culture”, à force de lire Sloterdijk, je crois que j’ai fini par inconsciemment intérioriser que le sens de ce mot, une fois débarassé de sa perspective moderniste et progressiste, n’était au final qu’un autre signifiant pour énoncer le principe de dressage globalisé de l’humain par l’humain. C’est n’est qu’en retournant dernièrement sur UBU WEB pour écouter les conférences de Barthes sur le vivre ensemble et le désir de neutre que je redécouvre la propre perspective de la tradition de pensée que je peux véhiculer à travers mon discours quotidien sans m’en rendre compte ; les engagements et les paradigmes mobilisés afin mieux construire une indiscipline sont formulés avec un tel sens de la sobriété, de la simplicité et de la clareté dans ces conférences qu’ils me réduisent au silence, non pas par fatigue (un des thèmes du second cycle) mais parce qu’ils ont le don de tranquiliser en faisant croire que tout n’a pas seulement été dit, mais que cela a été bien dit. A quoi bon alors autre chose que l’incorporation/incarnation ? Cela ne fait que renforcer cette impression que le langage s’impose à la pensée et je n’arrive toujours pas à me défaire de ce sentiment de méfiance qui s’avance alors. La plupart des scientifiques qui se positionnent en utilisant ce genre de mot comme d’un simple symbole ne demandant aucun sacrifice de principes me laissent complètement indifférents. On sait tous vers quel genre de débat stérile d’épistémologie naïve la discussion va tendre.

  • L’art d’aimer, Ovide
  • La vie solitaire, Pétrarque
  • Je suis une légende, Richard Matheson
  • Dans le ventre de la baleine et autres essais, George Orwell
  • Tels, tels étaient nos plaisirs, George Orwell

La pratique de la lecture est quelque chose que j’ai acquise de façon assez tardive, vers 21 ans alors que rien de m’y préparait particulièrement, et je me rends compte que j’ai beaucoup été influencé par une personne conseillant d’acheter au moins un livre par jour. Principe répondant à un petit défaut de collectionneur et que j’ai plus ou moins tenu en fonction de ma disponibilité à passer des heures par jour dans des librairies à proximité de la fac et beaucoup moins lorsqu’il a fallu lire des livres que je savais incompatible avec mon idée de ma bibliothèque et où j’ai profité des bibliothèques universitaires, nationales et municipales.

Certains crieront au capitalisme culturel à l’accumulation matérielle, j’ai commencé par là moi aussi, à quoi il faut bien se rendre compte qu’un livre ça se donne ou ça se prête ou ça se prête en oubliant qu’on l’a fait laissant à l’autre la liberté de considérer la chose comme donnée. Personnellement, j’aime beaucoup prêter mes livres quitte à devoir les redemander à la personne et par la même occasion avoir son avis sur l’ouvrage. J’aime bien l’idée que ma bibliothèque est aussi celle de mes amis. Les ouvrages disponibles le sont autant à moi qu’à mes amis et les textes me sont autant disponibles que mes amis me sont disponibles.

Rentrée oblige, j’ai dans l’idée de synchroniser mon acte d’achat avec mon rythme de lecture et de préparer un peu plus conscieusement ma liste de lecture à moitié pulsionnel à moitié dans l’urgence de devoir avoir lu ce bouquin pour l’écriture de tel papier à rendre il y a deux semaines.

Ma technique sera donc la suivante : Acheter entre 3 et 5 livres par semaine. Même quand je n’ai pas d’idée particulière en tête et me rabattre alors sur des livres déjà lu mais que je ne possède pas ou plus. Au moins les feuilleter ou lire les passages importants pour ceux qui constituent des livres dictées par la nécessité théorique ou ceux que j’ai juste besoin d’avoir sous le coude pour les relire. Si je ne les ai pas fini jusqu’à la prochaine fournée, je les range et je les lirai si je termine une fournée plutôt ; ce qui malgré les apparences arrive.

la Friche est ma librairie locale d’élection comme fournisseur officieux et hebdomadaire. Ceci est un article complètement pas sponsorisé.

Je remplis ma bibliothèque 28.08.09

  • Walter Benjamin, Hannah Arendt
  • Oeuvres 1, Walter Benjamin
  • Le meilleur des mondes, Haldous Huxley

L'été a été assez propice à quelques travaux et réflexions sur les langues et la traduction. Voici quelques notes pêle-mêle.

  • Le texte qui sera à présent ma référence sur le rôle et les enjeux de la traduction et de la retraduction sont les quelques lignes rapides mais très efficaces dans leur finesse de B. Lortholarty introduisant sa propre fonction dans la version francophone de Le Procès de Kafka.
  • J'essaie de comprendre et de trouver des sources sur le comment du pourquoi le tome 2 de la trilogie Sphères de Peter Sloterdijk n'a pas été publiée alors que le 1 et 3 oui. Du coup, j'hésite à me remettre à l'allemand. Ou lire le 3 sans attendre. Cette langue est toujours aussi fascinante, je ne pense que cela soit du temps perdu ou du snobisme d'y consacrer du temps.
  • Peut être sans hasard, j'ai aussi commencé à relire le Jargon d'Adorno. C'était pas très malin de l'avoir fait avant d'avoir lu LTI et Heidegger. Cela dit, Adorno adopte lui aussi une position partisane sur la valeur de sa langue, l'Allemand, comme langue d'expression de la philosophie.
  • Je suis également assez admiratif devant l'intrusion d'Aldous Huxley dans sa traduction française et le procédé génial qu'il met en place pour ne rester résigner et pour aider le lecteur à mieux saisir "l'harmonique" de son texte.

Tout livre est le produit d'une collaboration entre l'écrivain et ses lecteurs. Se fiant à cette collaboration, l'écrivain suppose l'existence, dans l'esprit de ses lecteurs, d'une certaine somme de connaissances, d'une familiarité avec certains livres, de certaines habitudes de pensée, de sentiment et de langage. Sans les connaissances nécessaires, le lecteur se trouvera inapte à comprendre le sujet du livre (c'est le cas ordinaire chez les enfants). Sans les habitudes appropriées de langage et de pensée, sans la familiarité nécessaire avec une littérature classique, le lecteur ne percevra pas ce que j'appellerai les harmoniques de l'écriture. Car, ainsi qu'un son musical évoque tout un nuage d'harmoniques, de même la phrase littéraire s'avance au milieu de ses associations. Mais tandis que les harmoniques d'un son musical se produisent automatiquement et peuvent être entendus de tous, le halo d'assciations autour d'une phrase littéraire se forme selon la volonté de l'auteur et ne se laisse percevoir que par les lecteurs qui ont une culture appropriée.

Dans une traduction les tons seulement sont entendus, et non leurs harmoniques - non pas, en tout cas, les harmoniques de l'original ; car il va sans dire qu'un bon traducteur essaiera toujours de rendre cet original en des mots qui ont, pour le nouveau lecteur, des harmoniques équivalents.

Il y a pourtant certaines choses qu'aucun traducteur ne peut rendre, pour la bonne raison qu'il n'existe, entre lui et l'auteur de l'original d'un côté et les nouveaux lecteurs de l'autre, aucune base de collaboration. Certains passages de ce volume appartiennent à la catégorie des choses intraduisibles. Ils ne sont pleinement significatifs qu'à des lecteurs anglais ayant une longue familiarité avec les pièces de Shakespeare et qui sentent toute la force du contraste entre le langage de la poésie shakespearienne et celui de la prose anglaise moderne. Partout où ces passages se trouvent j'ai ajouté le texte de Shakespeare dans une note au bas de la page. Des notes dans un roman - pédantisme insupportable! Mais je ne vois pas d'autre manière d'appeler l'attention du lecteur français sur ce qui était, en anglais, un moyen littéraire puissant pour souligner le contraste entre les habitudes traditionnelles de penser et de sentir et celles de ce « monde possible » que j'ai voulu décrire.

Préface à l'édition française, Le meilleur des mondes, Aldous Huxley

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Une conférence très intéressante (une sorte de récurrence sur TED mais je pense que je l'ai assez répété) à propos des nouvelles stratégies de design basées sur les mécanismes et principes fournis par la Nature pour résoudre des problèmes. Le principe n'est pas nouveau mais il ne cesse de gagner du terrain dans sa systématisation. J'aime particulièrement son introduction et la démarche derrière Ask Nature.

Pour toute l'histoire ancienne de la visagéité humaine, on peut affirmer que les hommes n'ont pas leur visage pour eux-mêmes, mais pour les autres. Le mot grec pour désigner le visage humain, prosopon, est celui qui exprime le plus clairement cet état de fait : il désigne ce que l'on apporte à la vision des autres ; un visage ne se présente d'abord qu'au regard de l'autre ; mais en tant que visage humain, il a simultanément la capacité de rencontrer ce qui est vu par sa propre vision en retour — et celui-ci, bien-sûr, dans un premier temps, ne se voit pas soi-même, mais voit exclusivement, pour sa part, le visage de son vis-à-vis. L'imbrication réciproque de la vue et de la contrevue est donc totalement ancrée dans le visage, mais on n'y trouve rien qui indique une tournure autoréflexive. Si l'ont fait abstraction des reflets précaires sur la surface de l'eau immobile, qui ont toujours été possibles, la rencontre des visages humains par eux-mêmes, à travers les image dans le miroir, constitue un ajout très tardif à la réalité interfaciale primaire. Ce serait cependant exiger l'inconcevable des hommes du XXe siècle, qui ont tapissé leurs appartements de miroirs, que de leur demander de prendre conscience de ce que signifie le fait que, jusqu'à une période récente, la quasi-totalité de l'espèce humaine était composée d'individus qui , de toute leur vie, n'ont jamais pu voir leur visage, sauf dans des situations d'exception, caractérisées par une extrême rareté. Les premiers miroirs sont typiquement des outils du début de l'ère des axes ; jsuque dans les temps modernes, ils demeurent des objets entourés de mystère entre les mains d'une petit nombre de privilégiés ; ils font aussi bientôt partie de l'inventaire physique et métaphorique de ceux qui parlaient du bien rare que constitue la connaissance de soi.

Cet extrait n'est pas vraiment représentatif du style et de la rhétorique de Sloterdijk beaucoup plus centrés sur le rapport entre la construction historique de l'homme et les textes philosophiques de ceux qui ont essayé de détaillés les rapports humains et le fondement de l'interaction sociale. Cependant, il y a ces moments discursifs où Sloterdijk arrive à effectuer une synthèse et clarifier de façon fulgurante en posant comme une évidence le rapport entre un présupposé anthropologique, sa profondeur au regard de l'évolution de l'espèce et la briéveté relative de notre conception actuelle du monde. Ce sont autant ces éclairs que les argumentations patientes qui font tout l'attrait et l'accessibilité d'une pensée prend du temps à lire et à méditer sans pour autant s'essouffler et le lecteur au passage.